13 Octobre

 

 

LOUIS NICOLAS BRAGATO (mgr)

 

1790-1874 

Avant-propos 

A 45 ans, l’Abbé Louis Bragato quittait Vérone pour aller à la cour impériale d’Autriche pour être le confesseur et le conseiller spirituel et aussi matériel de l’Impératrice d’Autriche, l’italienne Anna di Savoia, fille de Vittorio Emanuele 1er, épouse de Ferdinand 1er. Pendant une quarantaine d’années Bragato remplit, à Vienne et à Prague, l’important rôle d’aumônier de la cour impériale, à la fois confesseur et directeur spirituel, et aussi chargé d’une grande activité de bienfaisance pour le compte du couple impérial.

Grâce à cette deuxième occupation, beaucoup d’Instituts de bienfaisance, de religieux et de missionnaires, qui avaient comme centre surtout la ville de Vérone, bénéficièrent, d’un côté, des conseils et des encouragements du vénéré Père Gaspard Bertoni, et de l’autre, de l’aide diplomatique et économique de son fils spirituel, l’Abbé Louis Bragato, qui fut le canal d’intarissables aides pour toutes ces oeuvres  caritatives en Italie et au-delà. 

P. Nello Dalle Vedove. 

1. Naissance et premières années 

Bragato Louis Nicolas est né à Vérone le 17 décembre 1790 de l’agent d’entrepôts de tissus Giovanni Battista, âgé de 36 ans, et de Margherita Lerenzetti, âgée de 23 ans. Il a été baptisé deux jours après dans la paroisse des Sts Ferme et Rustique ‘en Braida’, desservie par les Prêtres de l’Oratoire de St Philippe Neri. Nous savons qu’il avait une grande-sœur du nom de Marie.

Les parents n’étaient pas riches de biens matériels, mais de charité pour les nécessiteux. 

2. Les études  

De neuf à seize ans, Bragato fréquenta avec grand profit le gymnase communal de St Sébastien, où enseignaient encore des anciens jésuites, comme l’Abbé Avesani. Il devint membre de la Congrégation de Marie et, à 12 ans, il reçut la 1ère Communion. Il fit de grands progrès aussi bien à l’école que dans sa formation spirituelle, et l’appel à embrasser la vie sacerdotale vint dans un cœur très bien disposé. A 16 ans il reçut la soutane dans l’église de St Sébastien.

A 17 ans il s’inscrivit au Lycée Royal de Ste Anastasie, qui venait d’être créé. Comme clerc, il dépendait du curé de sa nouvelle paroisse de St Nicolas, où ses parents s’étaient déplacés et vivait chez lui à la maison, tout en fréquentant le Grand-Séminaire. En 1810, pour échapper au recrutement obligatoire pour le service militaire institué par Napoléon, il entra au Grand-Séminaire. 

3. Grand-séminariste 

Parmi ses condisciples et amis, Bragato avait les Abbés Marani, Brugnoli, Mazza et d’autres encore.

Au Grand-Séminaire, l’Abbé Louis fit la rencontre la plus importante de sa vie, celle avec l’Abbé Gaspard Bertoni, un prêtre de 33 ans, que Mgr Liruti avait choisi, en 1810, comme directeur spirituel. L’Abbé Gaspard assurera sa charge jusqu’en 1813, lorsqu’il tomba gravement maladie, et il fut remplacé pour un an, par l’Abbé Louis, qui, à la chute de Napoléon (1815), devint Supérieur Général de la renaissante Compagnie de Jésus. En 1814 l’Abbé Gaspard reprit donc sa place au Grand-Séminaire pour y prêcher la retraite de préparation aux Ordinations sacrées.

L’Abbé Louis Bragato trouva en Bertoni le père de son âme, le guide sûr pour toute sa vie. Entre les deux s’instaura une très grande amitié, jusqu’à la mort de Bertoni.

En février 1810, lorsqu’il habitait encore chez lui, l’Abbé Bragato avec d’autres grands-séminaristes et des prêtres, allait chaque soir (du lundi au vendredi) dans la maison de Bertoni pour faire ensemble des études de théologie et aussi de littérature italienne. Le samedi soir il lui arivait d’accompagner au Grand-Séminaire, avec l’Abbé Gramego, Bertoni, qui le lendemain prêchait la méditation aux séminaristes, comme chaque dimanche. 

4. La montée vers la prêtrise 

Le 12 mars 1809, l’Abbé Louis reçut la tonsure ecclésiastique et mes quatre Ordres mineurs par Mgr Innocent Liruti. Le 14 mars 1812, il s’engagea dans le Sous-diaconat (promesse de célibat) et le 13 avril 1813 il reçut l’Ordre du Diaconat par les mains de son Evêque Mgr Liruti.

La même année, en décembre, il perdit son père, ce qui rendit sa famille assez pauvre.

En se préparant à son ordination presbytérale, l’Abbé Louis écrivait la crainte qu’il éprouvait pour cette grande charge : « Je fus très touché lorsque j’ai entendu que le prêtre doit être un modèle d’intégrité, de sérieux, de sainteté, tel que je le vois dans l’Abbé Gaspard... Je dois donc me donner antièrement à Dieu, sans rien chercher d’autre que sa gloire ».

Le 14 septembre 1814, les Abbés Louis Bragato et Gaétan Brugnoli furent ordonnés prêtres de Jésus Christ par les mains de Mgr Liruti, dans sa chapelle privée, à la présence de l’Abbé Gaspard, qui les avait préparés par une retraite spirituelle.

Après sa Messe d’action de grâce, Bragato accepta l’invitation de son ancien professeur du Grand-Séminaire, l’Abbé Frisoni, qui desservait la quasi-paroisse de St Laurent ; il va ainsi exercer son ministère par la prédication, l’enseignement du catéchisme, et, trois ans après, les confessions.

Durant la retraite de préparation pour pouvoir confesser, Bragato avait pris note de 15 points, pour que la confession soit bien faite. Parmi ces points il y un qui est très intéressant : « Les pénitences doivent être des œuvres contraires aux vices avoués, car ce sont des médicaments. Les prières valent peu, car elles coûtent peu ». Pour donner ce sacrement, l’Abbé Louis était très disponible et accueillant. 

5. L’Oratoire de Marie 

Bragato, dans la retraite spirituelle pour son ordination, animée par Bertoni, avait écrit dans son cahier personnel: « Je dois par-dessus tout soigner l’instruction des enfants, à l’imitation du Christ qui a dit ‘Laissez les enfants venir à moi’(Mt 19,14) ». L’Abbé Frisoni, en 1802, à la suite de l’Abbé Gaspard, créa lui aussi un des premiers Oratoires de Vérone dans la paroisse de St Georges. De 1807 a 1814 les Oratoires furent fermés par les armées de Napoléon, mais ils reprirent vie aussitôt après leurs départ. En 1814 l’Abbé Frisoni ouvit l’Oratoire de St Laurent, dont s’occupait surtout l’Abbé Bragato. Le jeune Giacobbe, qui fut membre de cet Oratoire de St Laurent en 1824, nous donna, des qnnées qprès, ces précieux renseignements : « En 1824, les jeunes et adultes étaient 300 et les enfants 200 ; les filles et les femmes étaient aussi nombreuses ».  Cela fait beaucoup pour une quasi-paroisse !

Parmi les jeunes prêtres qui aidaient Bragato dans l’animation de l’Oratoire, il y avait son ami du Grand-Séminaire, l’Abbé Antonio Provolo, qui avait une belle voix et animait en particulier les chants. L’Abbé Provolo va fonder ensuite l’Institut pour les sourds-muets, dont le merveilleux charisme sera de leur apprendre, autant que possible, à comprendre et parler, et aussi à lire et à écrire.

Un autre jeune, qui faisait partie de l’Oratoire de St Laurent, était le futur Evêque de Vérone (1861), et plus tard Cardinal, Mgr Louis de Canossa (1809-1900). C’est lui qui nous a laissé un très beau témoignage des Oratoires, dont « l’initiateur fut l’Abbé Gaspard Bertoni… Par sa sainte vie, il fut le modèle des jeunes et il leur inculqua la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus et celle à la Mère de Dieu… Nous sommes heureux d’affirmer publiquement que si Vérone ne cessa pas, juqu’à présent, d’être fidèle et pieuse, et d’en être fière, elle le doit en grande partie à l’œuvre des Oratoires de Marie ». 

6. Vocation religieuse 

Depuis le Grand-Séminaire, l’Abbé Bragato désirait entrer dans la Compagnie de Jésus, si elle reprenait vie. En attendant, conseillé par Bertoni, il lisait des livres sur St Ignace de Loyola, qu’il avait pris pour saint patron et modèle. Lorsqu’en 1814 la Compagnie de Jésus reprit vie, l’Evêque de Vérone ne fut pas d’accord de laisser partir ses meilleurs prêtres dans cette Congrégation.

Finalement l’Abbé Louis suivit l’exemple de ses deux amis Farinati et Gramego et devenint religieux dans la petite compagnie des Stigmates, heureux d’en être initié par son Père Spirituel, l’Abbé Gaspard. Son ami Gramego écrivit dans son journal : « Ohé, finies les gloires pour l’Abbé Louis Bragato ; finalement, le 15 octobre 18918, fête de Ste Thérèse de Jésus, sont arrivés d’abord la dote et, le soir, l’époux. Vive St Louis de Gonzague ! »

Comme l’Abbé Bragato avait été sollicité pour donner l’Instruction religieuse dans un Lycée Royal, Mgr Liruti vint le trouver aux Stigmates, pour qu’il fournisse une attestation médicale selon laquelle il était sérieusement malade : il la fit faire par son médecin, un peu complésant : en réalité Bragato avait un début de tuberculose. Comment aurait-il pu endurer le sévère régime des Stigmates, Dieu seul le savait. L’Abbé Louis se mit très tôt à enseigner dans notre gymnase, car il avait une profonde connaissance des auteurs classiques latins et italiens.

La vie communautaire était enrichie par un nouveau confrère doux et modeste. L’Abbé Louis aimait confesser les nombreux pénitents ; il était tellement patient avec tous, que les confrères l’appelèrent un autre St François de Sales. On appréciait également ses serments.

Entre-temps sa santé empirait de plus en plus, si bien qu’après huit mois aux Stigmates, il alla se reposer chez lui. Son ami Gramego, peiné, écrivait : « Oh quel malheur ! Le 4 juin 1819, l’Abbé Louis Bragato nous a quittés pour aller se reposer chez lui”. Le 19 octobre 1819 le courageux Abbé Matthieu Farinati alla aussi chez lui, contaminé par les malades du typhus qu’il assistait ; presque un an après il s’envola au ciel.

Voilà deux confrères qui laissaient un grand vide auprès des malades, et l’Abbé Bragato dans l’école des Stigmates, où il donnait des cours à nos élèves et aussi aux filles des Sœurs de la Sainte Famille qui étaient à Ste Thérèse. 

7. Préfet des Etudes au Grand-Séminaire 

Lorsque l’Abbé Bragato reprit des forces, il ne rentra pas tout de suite aux Stigmates, mais il accepta l’invitation de son ancien maître, l’Abbé Travisani, pour l’aider dans sa charge de préfet des Etudes au Grand-Séminaire. Il lui succéda en 1821 dans cette charge – grâce à l’estime dont il jouissait –, par la ferme volonté de l’Evêque, qui lui donna une aide pour le seconder à cause de sa faible santé.

En mars 1822, Bragato perdit sa mère et il dut s’occuper de sa grande sœur Marie, qu’il confia comme servante à son ami l’Abbé Provolo.

La même année l’Abbé Louis Bragato devint directeur spirituel de la Mère Léopoldine Naudet, après que Bertoni l’eût laissée en 1819, selon la règle de St Ignace, et que le P. Fusari, des Philippins, l’eût remplacé pendant trois ans. A son tour Bragato va la diriger et l’aider dans son œuvre pendant cinq ans, en suivant les conseils de l’Abbé Bertoni. 

8. Retour aux Stigmates 

En 1825 l’Abbé Bragato fut exonéré de la lourde charge de Préfet des Etudes au Grand-Séminaire. Il était temps qu’il reprenne sa place aux Stigmates. Dans son journal personnel, débordant de joie, il écrit : « Après avoir rejoint, le 28 juillet 1825, les prêtres des Stigmates et, trois jour après, dans le fête de St Ignace, j’ai émis, en forme privée, les vœux religieux dans les mains de l’Abbé Gaspard ». C’est ainsi qu’on renouvelait, chaque année, les trois vœux en signe de consécration à Dieu par le Christ et dans la charité de l’Esprit Saint.

Le retour définitif de Bragato aux Stigmates fut le 30 octobre 1828, après qu’il eût confié dans de bonnes mains l’Oratoire de St Laurent.

Les activités de Bragato étaient les mêmes qu’auparavant, mais il soigna davantage, par l’étude, la préparation des sermons, des panégyriques (Sts Epoux, St François et ses Stigmates) et des Exercices Spirituels de St Ignace, à donner surtout aux prêtres, selon les directives de l’Abbé Gaspard. Il devint ainsi un très bon collaborateur dans la prédication des retraites spirituelles de l’Abbé Gaspard, et parfois aussi son remplaçant, à cause de sa mauvaise santé.

Bragato secondait aussi l’Abbé Gaspard dans l’enseignement dans les classes d’Humanité. D’après les dernières disposition du gouvernement, il suivait des cours de pédagogie (ou ‘méthodique’), pour avoir le niveau requis pour l’enseignement. Mais Mgr Grasser, le nouvel Evêque de Vérone, l’en dispensa et lui fit avoir autrement son diplôme. Bragato aimait les jeunes gens et l’école pour pouvoir bien les former et influencer positivement également leurs familles. 

Une charge que l’Evêque avait confiée à l’Abbé Gaspard, en 1834-1835, il la confia ensuite, pour des raisons de santé, à son fils spirituel : il s’agissait d’être l’examinateur prosynodal des prêtres qui étaient candidats à devenir curés de paroisse. 

9. Un grand changement dans la vie de Bragato 

Mgr Grasser, originaire d’Autriche, avait été sollicité, en 1835, par l’Impératrice, Mme Maria Anna Carolina Pia di Savoia, femme du nouvel Empereur Ferdinand Ier des Habsbourg, de lui trouver un bon confesseur et conseiller spirituel. Mgr Grasser, sans attendre, alla aux Stigmates demander à l’Abbé Bertoni son fils spirituel, l’Abbé Louis Bragato, pour une telle charge à la cours de Vienne. Bragato essaya de se dérober à cette responsabilité, mais à la fin il obéit, comme toujours.

Bertoni tenait à souligner qu’il ne voulait aucun profit de la part de l’Impératrice pour ce service.

Il faut remarquer que l’Abbé Bragato ne connaissait pas l’allemand : avec l’Impératrice il parlait l’italien, mais pendant quelques mois il souffrit de ne pas pouvoir communiquer avec son entourage.

L’Abbé Louis reçut une double pension, pour qu’il puisse s’autosuffire avec son cuisinier ; mais il reçut l’ordre formel de l’Abbé Gaspard d’employer l’argent qui lui restait pour des aumônes, sans rien envoyer aux Stigmates. Bertoni lui recommandait encore de rester toujours humble, malgré les quelques honneurs qu’on lui rendait.

Dans une autre célèbre lettre le Père Gaspard écrivait à son fils : « Puisque vous ne pouvait être physiquement avec nous, soyez spirituellement ‘au creux du rocher’ (Ct 2,14), dans les plaies de notre très aimable et très humble Sauveur, où je vous laisse, en vous embrassant de tout cœur ».

Par ses manières de faire simples et humbles, l’Abbé Bragato s’attira très vite l’admiration et la vénération du couple impérial et de tout le monde, si bien qu’il fut très tôt confirmé dans sa charge. 

On sait que Ferdinand Ier « le Bon » était malade d’épilepsie ; à cause de cela il était assisté par un « conseil de régence », qui était composé par son frère et son oncle, par le prince de Metternich, chancelier de l’empire, et par sa femme Maria Anna, qui joua un grand rôle à côté de son mari. En cela, son conseiller, l’Abbé Bragato, lui fut très précieux pour beaucoup d’affaires difficiles et encore davantage pour bien exercer la charité envers les nécessiteux, qui, très nombreux, avaient recours à l’Impératrice ou à son conseiller spirituel. 

10. Correspondance entre l’Abbé Gaspard et l’Abbé Bragato 

Les deux nourrissaient, depuis qu’ils se connaissaient, des relations de père à fils, qui s’aimaient d’un amour spirituel particulier. L’éloignement du fils contribua à faire grandir cette belle et profonde amitié qu’ils se portaient. Des lettres de Bragato à Bertoni il n’en reste aucune, car l’Abbé Gaspard dans sa grande prudence, après les avoir lues il les brûlait aussitôt, car elles concernaient souvent la conscience de son fils spirituel. Quant aux lettres que Bertoni a écrites à Bragato, celui-ci les gardait jalousement, comme un trésor de conseils de comportement et d’enseignements de direction spirituelle. Après plusieurs années, l’Abbé Louis les donna au P. Marani lors d’n de ses voyage en Italie et aux Stigmates. Mais l’annexion de Vérone et de toute la Vénétie par le Royaume d’Italie en 1866 fut suivie par la suppression des Ordres religieux, la confisquation de leurs biens et la perquisition de leurs maisons. Trouver des lettres prouvant avoir eu des relation avec la cour ennemie de Vienne pouvait être interprétée comme un délit grave : voilà pourquoi le P. Marani, avec quelques confrères, pensa qu’il fallait détruire ces lettres à Bragato qui portaient l’adresse de la cour de Vienne. Seulement quelques-unes furent sauvées du feu par le P. Rigoni ; nous avons ainsi un petit aperçu de cette relation très familière et riche par-ci par-là de quelques perles de spiritualité. L’Abbé Bragato, bien que très éloigné, était considéré toujours comme un frère, qui donnait de ses nouvelles et en recevait également de ses frères des Stigmates.

 

 

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